Plan Ecophyto 2030 Une « task force » horticole pour anticiper les retraits de produits phytosanitaires
Face à l’accélération des retraits de matières actives phytosanitaires, le ministère de l’Agriculture a demandé aux filières d’estimer l’impact de ce choix sur les professionnels de leurs secteurs respectifs.
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L’agrochimie innove de moins en moins pour sortir des produits de protection de culture plus respectueux du vivant. Dans le même temps, les spécialités conventionnelles sont de plus en plus pointées du doigt pour les dangers qu’elles font porter à l’environnement et à la santé des utilisateurs, mais aussi de la société en général. Dans ce contexte, le nombre de matières actives phytosanitaire disponibles sur le marché va baisser, en particulier au niveau européen, soit parce qu’elles seront interdites, soit parce que les firmes qui les portent ne feront pas l’effort financier nécessaire pour renouveler les homologations.
En France, cette tendance est portée par le nouveau plan Ecophyto 2030, validé en juillet dernier, qui vise à poursuivre la baisse du recours aux spécialités chimiques conventionnelles. Quelque 75 molécules sont amenées à être rayées des usages autorisés. Cela ne sera pas sans conséquences sur l’ensemble du monde agricole. Pour que tout le monde soit prêt sur le terrain, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a organisé courant 2023 différentes réunions pour inciter les filières à se préparer au mieux à ce qui les attend. Une première réunion a eu lieu en février dernier concernant le retrait du S-métolachlore, au cours de laquelle le ministre s’est semble-t-il agacé du peu d’anticipation des professionnels face à un mouvement pourtant inéluctable. D’autres rendez-vous ont suivi, avec un objectif : organiser le travail pour que les producteurs soient préparés, autant que possible.
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Travailler avec les acteurs techniques des filières
Mais alors que le plan Ecophyto 2030 a commencé à être évoqué le 1er mai par Marc Fesneau, les professionnels ont été convoqués pour une présentation dès le lendemain. Ce sont les acteurs techniques des filières qui ont été invités à travailler avec le ministère, ce dernier ne souhaitant apparemment pas échanger avec les fédérations.
Pour l’horticulture, Astredhor s’est avéré l’interlocuteur privilégié, plus particulièrement via son directeur scientifique, Fabien Robert, et son chargé de mission « protection des cultures », Laurent Jacob. Objectif affiché : donner de la visibilité aux producteurs sur les produits qu’ils ne pourront plus utiliser à l’avenir, élargir la palette des solutions de remplacement en identifiant de nouveaux outils de lutte contre les maladies et ravageurs. Mais surtout, le ministère a affirmé sa volonté de sortir de la logique « un produit, une solution » en « s’inscrivant dans une démarche de transition agroécologique passant par une reconception des systèmes de production »…
D’emblée, il a été prévu que les travaux conduits dans chaque filière permettent des regroupements par usage ou problématique pour préparer des plans d’action transversaux, néanmoins, sept grandes filières ont été identifiées. Outre l’horticulture, les grandes cultures, la vigne et les fruits et légumes ont évidemment été individualisés, ainsi que les plantes à parfum et médicinales, les semences et les filières ultramarines. L’organisation a été imaginée avec deux niveaux, un « Comité interfilière », présidé par le ministre en personne, qui « partage des avancées des travaux et arbitrages sur leur validation et sur les plans d’action prioritaires », et, par ailleurs, une « task force » pour chacune des filières, pilotée par la Direction générale de l’alimentation appuyée par le « délégué ministériel en charge de l’anticipation du retrait des substances actives »… Les titres et forces en présence pourraient prêter à sourire, mais il faut y voir aussi une volonté d’aboutir rapidement et la preuve que les choses vont aller vite et qu’il va falloir se préparer. D’ailleurs, Laurent Jacob note que les réunions se sont faites pour certaines avec la présence de quatre ministères, ce qui prouve l’importance du dossier auprès des pouvoir publics.
Identifier les risques liés aux retraits et lister les alternatives
Chacune des « task forces » est composée des instituts techniques et interprofessions, d’Inrae, Anses et Acta, voire du Cirad pour l’Outre-mer, ainsi que différents représentants des autorités du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (DGER, DGAL, DGPE).
À toutes les « task forces » il a été demandé d’effectuer un travail en deux temps. Tout d’abord, elles ont dû identifier les cas où le retrait des substances actives vont remettre en cause des usages ou groupes d’usages, puis donner un aperçu des alternatives non chimiques envisageables. Enfin, il leur était demandé d’identifier les premières priorités d’usage pour lesquelles l’absence de solution présente le plus d’impact socio-économique. Dans un second temps, il leur fallait établir un diagnostic complet des connaissances sur les méthodes alternatives, chimiques ou non, pour chaque usage prioritaire. Les besoins en recherche et développement et accompagnement des professionnels doivent aussi être définis. Enfin, les professionnels sont incités à définir une stratégie à court, moyen et long terme pour gérer les impasses techniques.
Pucerons, thrips et désherbage, premières priorités
Sur les 75 matières actives susceptibles de disparaître du catalogue des usages autorisés, vingt-six sont utilisables en horticulture ornementale (voir tableau 1 dans la revue Lien horticole n°1132 - Janvier-février 2024). Trente usages ont été listés par Astredhor comme étant contrariés par un éventuel retrait de ces « substances menacées » (voir tableau 2 dans la revue Lien horticole n°1132 - Janvier-février 2024). Le 3 juillet dernier, Laurent Jacob a présenté au ministère des tableaux synoptiques des enjeux pour les insecticides, les fongicides et les herbicides.
Pour les premiers, les pucerons et le thrips ont été définis comme priorité première, suivis des cicadelles et cochenilles. Coléoptères et nématodes sont placés en troisième priorité. Astredhor a souligné cinq risques que font peser les retraits de produits sur des usages permettant de lutter contre des organismes nuisibles réglementés (ONR), contre lesquels la lutte est obligatoire. Le travail souligne des risques liés à l’émergence de ravageurs, pointe les superficies parfois importantes qui sont en jeu…
Le désherbage est aussi donné en première priorité, avec six produits qui pourraient ne pas être maintenus. Enfin, côté fongicides, pas de première priorité, mais les pourritures grises et monilioses, pythiacées du sol et taches foliaires et tavelures sont placées en priorité de second ordre. « Des plans d’action vont être menés pour identifier ou développer des solutions pour maintenir les moyens de lutte à niveau », explique Astredhor.
On perdra à coup sûr certaines matières actives
« On sait que l’on perdra à coup sûr certaines matières actives », précise Laurent Jacob, qui s’appuie dans cette analyse sur le soutien que les firmes sont prêtes à mener sur tel ou tel produit et sur les dossiers en cours.
La mission n’est pas prise à la légère par le ministère, qui a prévu une enveloppe de quelque 146 millions d’euros. Parmi les travaux transversaux à toutes les filières qui avancent, on peut citer le désherbage en plein, qui devrait céder la place au localisé, les rotations de culture longues, le développement d’auxiliaires… Des techniques encore méconnues, comme les insectes stériles, le plasma froid ou la luminothérapie pourraient émerger grâce à ce plan d’envergure. À noter que le spécialiste en France des problèmes phytosanitaires, Jérôme Jullien, a largement participé au travail : « Sans lui, rien n’aurait pu être fait », estime Laurent Jacob.
Reste à attendre et voir ce qu’il restera à la filière horticole pour s’adapter. « Sur thrips, on aura encore les produits qu’il nous faut, mais cela pourrait devenir compliqué », explique pour ne citer que cet exemple Laurent Jacob. Une chose est certaine, c’est que les autorités semblent vouloir aller vite, ce qui ne milite pas en faveur d’un temps d’adaptation très long sur le terrain…
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